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Un article de quatrième

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Contexte

J’ai été récemment contacté par Jule qui était venu avec ses parents passer une journée découverte au printemps. Sa professeur(e) de français a proposé a sa classe d’écrire un journal. Jule a proposé un article sur l’apiculteur et à cet effet m’a envoyé une série de questions. Ci-dessous, in extenso, ses questions très pertinentes et mes réponses qui j’espère le sont tout autant…

Quelles sont les causes et quelles seraient les conséquences du déclin des abeilles ?

Les causes:

Comme on dit, quand on veut botter en touche, le déclin des abeilles est multifactoriel. Une fois que t’as dit ça t’as rien dit. Donc la principale et unique cause du déclin des abeilles est l’homme. Il n’y a aucune cause qui pourrait expliquer le déclin par un caprice de la nature. Dommage pour nous…Cela se décline de la façon suivante en les classant par ordre d’importance selon moi mais rien n’est figé dans le marbre:

  • En premier l’agriculture intensive et son cortège de pratiques mortifères: les pesticides bien sûr avec tout ce que cela implique déjà d’action directe sur les insectes mais aussi pollution de l’eau, des sols et de l’air, l’appauvrissement des sols, les monocultures, le remembrement (disparition des haies), les fauchages précoces (les foins en mai avant même que les plantes aient eu le temps de fleurir…), l’appauvrissement de la biodiversité végétale, la disparition de cultures favorables aux abeilles (luzerne, sainfoin…), les antibiotiques utilisés en élevage (les abeilles adorent boire sur les bouses de vache riches en urée et sels minéraux) et j’en oublie! Pour les pesticides bien prendre en compte qu’il n’y a pas que les insecticides type néonicotinoïde qui posent problème, actuellement il y a des fongicides qui attaquent le système respiratoire des champignons mais également de tous les êtres vivants, l’homme y compris…
  • Le varroa: on en a parlé quand vous êtes venus je pense, il s’agit de cet acarien qui s’attaque au couvain et qui est aussi vecteur de maladies. Là encore dans nos contrées avant les années 80, cet acarien n’était pas présent il a été importé par l’homme. Maintenant en France par exemple il n’y a aucune ruche qui n’est pas infectée. Si tu ne fais rien ta colonie est amenée à disparaître et cela très rapidement. A mon sens le varroa est le facteur numéro un de la mort des colonies en sortie d’hiver. Si en plus il attaques des colonies faibles elles n’ont aucune chance de passer l’hiver, mais même les plus fortes à termes sont condamnées si on ne fait rien.
  • A moindre échelle on a le frelon asiatique. Là encore importé par l’homme dans nos contrées très récemment (2004) et qui maintenant se répand dans toute la France et l’Europe. J’en ai un peu ici et c’est pénible. Moins problématique que le varroa sauf pour les colonies faibles et s’il y a une grosse pression de prédation les abeilles sont amenées à ne plus sortir de la ruche avec les conséquences qu’on peut imaginer. Là où les abeilles ont co-évolué avec le frelon asiatique elles ont trouvé comment se défendre (les gardiennes entourent un frelon et en battant des ailes lui font monter la température et il meurt) mais ici elles ne savent pas le faire. Combien de milliers d’années avant qu’elles développent des stratégies de défense?
  • Les pratiques apicoles: il existe aussi une apiculture intensive avec les mêmes objectifs (l’argent) et les mêmes conséquences que l’élevage industriel pour les animaux qui en sont les victimes. En vrac comme pratique on pourrait citer la transhumance, les cires gaufrées, les traitements chimiques contre le varroa, l’encagement des reines depuis quelques années, le remplacement des reines annuellement, le greffage pour produire des reines, l’insémination artificielle et soyons honnête l’incompétence de certains apiculteurs… Il y a un point sur lequel je suis dans le flou c’est le métissage des abeilles. Dans nos contrées l’abeille endémique est l’abeille noire et pour des raisons diverses et variées (rendement, douceur…) d’autres races ont été introduites ce qui fait que maintenant il y a un gros brassage génétique. Pour certains qui veulent sauver l’abeille noire c’est un problème parce que les métisses seraient moins bien adaptées au milieu et pour les autres le métissage permet de meilleures adaptations. Je n’ai pas (encore) d’avis sur la question.
  • Le réchauffement climatique. Une première conséquence est la disparition de certaines espèces végétales ou des étés trop chauds qui crament les fleurs avant qu’elles aient pu donner du nectar. A mon sens c’est surtout les hivers doux qui posent problème. Les abeilles ne craignent pas le froid par contre s’il fait trop chaud en hiver les abeilles dites d’hiver dont la durée de vie est d’environ 4 mois vont beaucoup plus sortir et du coup diminuer leur espérance de vie par épuisement prématuré. Si le printemps est doux pas de souci mais s’il est froid et pluvieux les abeilles d’hiver mourront avant que les abeilles de saison ne soient nées et la colonie ne survivra pas.

Les conséquences:

Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’on se focalise sur le déclin des abeilles mais le vrai problème c’est le déclin du vivant en général et des insectes en particulier. Il y a plein d’insectes qui pollinisent les fleurs. D’ailleurs maintenant en serres on utilise des mouches pour polliniser, beaucoup plus faciles à utiliser que les abeilles ou les bourdons. Il y a maintenant de plus en plus de gens spécialisés dans la production de mouches à grande échelle pour la pollinisation en serres. Alors effectivement si on prend mon cas, j’ai 17 ruches actuellement soit on va dire un potentiel en saison de plus de 200 000 butineuses. Sachant qu’une butineuse visite par jour environ 3000 fleurs on arrive au total  de 600 millions (si je ne me trompe pas) de fleurs potentiellement pollinisées par jour tout ça dans un rayon de 3 kms, pas mal!!! Mais il y a des diptères, d’autres hyménoptères, des papillons, des coléoptères… Maintenant ce n’est pas la même force de frappe. Mon message ce serait si on veut sauver les abeilles sauvons surtout le vivant dans sa globalité. Actuellement en France la mortalité annuelle de colonies est en moyenne de 30%. On pourrait se dire pas de souci on rajoute tous les ans 30% de colonies en plus mais ça, ça ne résout pas le problème, ça le déplace. Quant à la phrase célèbre « si les abeilles disparaissaient l’humanité n’en aurait que plus que pour 3 années à vivre » c’est juste une grosse connerie qu’Enstein, paix à son âme, n’a jamais prononcée. Si les abeilles disparaissaient c’est que tout le vivant aura disparu et là on sera bien dans la merde!

Bon pour l’anecdote quand même si les abeilles disparaissaient fini le miel au petit déjeuner…

Quelles conséquences auraient celui-ci sur la nature et la biodiversité ?

Aucune. Si les abeilles disparaissent c’est qu’il n’y aura plus de nature ni de biodiversité. Ce ne sont pas les abeilles qu’il faut sauver mais le vivant en général. Et pour rappel l’animal le plus menacé dans tout ça ce n’est pas l’abeille  ni les insectes mais c’est l’homme! Et au rythme où ça va, ça va aller très vite!

Quelles sont les conséquences sur l’anatomie de l’abeille ?

Qu’est ce que tu entends par anatomie?? A priori aucune en tout cas d’un point de vue morphologique. Par contre il y a deux conséquences majeures sur la physiologie: les mâles sont  beaucoup moins fertiles qu’avant (c’est marrant comme chez l’espèce humaine…) et la durée de vie des reines a diminué. Enfin sa durée de vie où elle pond suffisamment d’oeufs pour subvenir à la bonne santé de la colonie et on peut imaginer que les 2 points sont liés. Pour rappel une reine est fécondée une seule fois dans sa vie par une douzaine de mâles et stockent tous les spermatozoïdes dans sa spermathèque: moins de spermatozoïdes, moins de fertilité des reines.

Quelles sont les mesures prises par les apiculteurs ?

Ah ben pour certains c’est juste un calcul: j’ai 100 ruches, j’en perds 30 en sortie d’hiver et ben je refais 30 essaims pour arriver en fin de saison de nouveau à 100 colonies. Et voilà, je réfléchis pas trop. Après il y a une solution simple: j’achète tous les ans de nouvelles reines à un éleveur de reines. Je les change en septembre ce qui fait qu’à la nouvelle saison j’ai de super reines et voilà. Et pour parer au manque de resources en nectar je fais de la transhumance comme ça je fais un max de miel et tant pis pour les abeilles. Généralement transhumance est associée au changement annuel des reines. En gros pour ces apiculteurs je m’en sors comme je peux par des tours de passe passe mais ça devient compliqué parce qu’en termes financiers ça ne devient plus rentable sauf à augmenter le cheptel en proportion.

Et puis il y a les autres apiculteurs, voir ci-dessous!

Et enfin quelles mesures prends-tu (Noir Pollen) ?

Déjà je voudrais dire que je ne suis pas plus intelligent qu’un autre ni plus malin ni ce que je fais est génial. Dans leur immense majorité les apiculteurs aiment leurs abeilles mais devant toutes les difficultés de l’apiculture moderne ils ne savent plus trop quoi faire. Pareil pour un éleveur de vaches ou de poules qui pour s’en sortir financièrement pratique un élevage qui n’est pas respectueux. J’ai la chance de ne pas avoir besoin de l’apiculture pour vivre même si je m’inscris dans une démarche professionnelle. Après on fait des choix. Mon premier a et sera toujours de favoriser le bien être de mes abeilles avec comme corollaire de proposer les meilleurs produits qui soient. La quantité n’est pas mon objectif, j’ai juste envie de proposer du miel le meilleur possible parce que par rapport à ce que les abeilles produisent il est peu ou pas transformé.

Alors concrètement qu’est-ce que je fais?

  • Bon tu es venu ici donc tu sais que j’ai choisi un environnement riche en biodiversité et absent de cultures et donc de pesticides. C’est un luxe que j’ai pu offrir à mes abeilles et cela n’est pas donné à tout le monde. Pour moi c’était une condition indispensable à mon installation en tant qu’apiculteur.
  • Je respecte mes abeilles. Concrètement qu’est ce que cela veut dire? Déjà je ne fais pas de transhumance. Elles sont sédentaires dans des ruches de luxe. Elles connaissent le biotope, l’environnement, pas de stress lié à des changements sans arrêt (les transhumants bougent leurs ruches une dizaine de fois par an). Je ne pratique pas de picking (greffage) pour remplacer les reines. Je fais des essaims artificiels pour laisser aux abeilles la possibilité d’élever les reines de leur choix. Je n’utilise pas de cires gaufrées avec comme principale conséquence qu’elles peuvent faire autant de mâles qu’elles jugent nécessaires à leur bien-être. Je nourris si nécessaire (on parle d’élevage donc nourrir est un devoir de l’éleveur si les conditions météo l’exigent) mais avec des produits que je fabrique moi-même et avec des ingrédients de qualité. 
  • Je traite contre le varroa avec des produits les moins toxiques possibles pour mes abeilles. Il s’agit d’un mélange d’acide formique et oxalique et quand je l’applique visiblement (je dis bien visiblement) il est très bien toléré par les abeilles. De toute façon il est hors de question que je laisse mes colonies sans soutien par rapport au varroa qui pour le dire simplement est une vraie saloperie.
  • Je parle à mes abeilles, j’adapte mes gestes, elles me connaissent au même titre que pour moi chaque colonie est différente avec ses qualités et ses défauts. Ce sont des moments privilégiés.
  • Et peut-être le point le plus important je passe beaucoup de temps à les observer au trou de vol. J’ai l’objectif de mieux comprendre ce qui se passe dans la ruche en observant les abeilles à l’entrée de celle-ci. L’idée c’est de pouvoir intervenir quand nécessaire et de savoir quoi faire quand j’ouvre la ruche. C’est un travail long mais passionnant, encore une fois j’ai le luxe de pouvoir le faire. Cette année ça m’a déjà donné plein d’indications et j’ai pu vérifier la pertinence de mes observations (dernièrement je savais que j’allais perdre une colonie juste en regardant l’activité sur le plancher d’envol et ça n’a pas loupé). 
  • Encore une fois je ne suis pas le meilleur loin s’en faut. Je suis aussi confronté aux mêmes problèmes que les autres apiculteurs, après j’ai choisi une apiculture qualitative qui au final permet aux abeilles d’évoluer dans un bon environnement mais est-ce que cela suffit?

Conclusion:

Voilà, il y a plein de choses à dire encore mais c’est déjà pas mal. N’hésite pas à me demander des explications complémentaires ou des précisions.

Et pour que tu situes mieux le problème de l’apiculture actuelle: au début du siècle (l’autre pas celui-là) il était courant pour une ruche sédentaire de produire jusqu’à 80 voire 100 kilos de miel par an. Maintenant si une colonie en produit 20 tu es le roi du pétrole. No comment!

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