Qu’est-ce que la mortalité hivernale ?
Définition:
La mortalité hivernale est définie par le pourcentage de ruches mortes entre la mise en hivernage et la visite de printemps. De mon point de vue je trouve cette définition trop réductrice. Car cela donne l’impression que les pertes hivernales seraient essentiellement dues à un problème de réserves insuffisantes pour passer la période froide. Si on y regarde de plus près et si comme moi on visite son rucher quotidiennement on se rencontre que les pertes s’échelonnent tout au long de l’hiver (voire en fin d’automne). Et donc, lors de la première visite, ici courant mars, il n’y a aucune surprise, je sais déjà combien de mes essaims ou colonies n’ont pas survécu.
Suivi:
Il y a au moins 3 moyens de suivi sans ouvrir les ruches : l’observation de pillage qui peut intervenir encore tard en saison si les conditions sont bonnes. L’absence de vol de propreté les jours qui le permettent. Et enfin l’absence de bruissement quand on tend l’oreille près de la grille d’entrée. Je sais donc quelles sont les ruches mortes bien avant la sortie d’hiver. Et j’ai toujours observé que les ruches meurent tout au long de l’hiver. Un épisode chaud suivi de fortes gelées est souvent fatale aux ruches les plus faibles.
A quel mortalité hivernale s’attendre ?
Depuis plusieurs années le chiffre moyen annoncé en France est de 30% de mortalité. Je pense qu’il est bien plus élevé et sûrement plus proche de 50%. Avant l’arrivée du varroa dans nos colonies une perte de 10% était la norme. Et en plus cette année le frelon asiatique est arrivé très tôt et a fait des ravages dans les ruchers. A noter que le frelon européen qui a bonne presse n’a pas été en reste. J’ai noté bien plus d’attaques par celui-ci que par le frelon asiatique. J’ai l’impression qu’un mimétisme s’est installé et que le frelon européen a bien appris de son cousin asiatique. Pour l’instant je n’ai encore rien lu ni entendu à ce sujet…Au moins a-t-il la bonté de disparaitre assez vite en début d’automne.
Mon expérience:
Jusqu’à cette année j’ai été largement épargné par la mortalité hivernale mais je savais que tout apiculteur peut à tout moment être confronté à un désastre. Pour moi ce sera cet hiver 2022 / 2023. J’ai hiverné 47 essaims/colonies et à ce jour (14 mars 2023) j’en ai perdu 27 soit un pourcentage de mortalité de près de 60%. Et je crains que ce ne soit pas fini. Après chaque épisode de gel prononcé il y avait de la mortalité.
Les observations:
Voici ce que j’ai pu constater (pour faire simple je parle de ruches sans préciser s’il s’agissait de colonie ou d’essaim) :
Je peux raisonnablement accuser le varroa pour quelques ruches (je traite en fin d’été au Varromed® et j’en suis très satisfait).
Deux ruches étaient totalement vides, aucune abeille morte. Il s’agit donc du syndrome d’effondrement des colonies largement documenté depuis le début des années 2000. Sans qu’une explication faisant consensus ne soit trouvée. Ce n’est donc pas moi qui vais avancer une explication. A savoir quand même qu’ici il n’y aucun pesticide à des kilomètres à la ronde.
Pour toutes les autres, à l’ouverture, il y avait très peu d’abeilles mortes et des réserves bien présentes. Cela me donnait l’impression qu’il n’y avait pas eu d’abeilles d’hiver et donc la population s’est éteinte lentement au gré des longues journées de gel.
Je dis à tous les stagiaires que quand ils vont acheter leurs premiers essaims pour démarrer la bonne nouvelle c’est qu’ils passeront leur premier hiver sans problème. J’ai produit une vingtaine d’essaims qui ont tous très bien démarré et nombre d’entre eux n’auront donc pas passer leur premier hiver… Comme quoi en apiculture aucune vérité ne dure bien longtemps.
Les explications de la mortalité hivernale
La vraie question pourrait-être celle-ci : pourquoi certaines ruches n’ont pas produit d’abeilles d’hiver ?
La seule réponse que j’envisage est liée directement aux conditions climatiques. A partir de fin juin il n’y a eu plus rien à butiner. Pas d’eau et donc pas de nectar. Lors de visite j’observais des milliers d’abeilles oisives, en gros les butineuses qui n’avaient rien à faire. La situation s’est un peu rétablie en septembre / octobre mais la sécheresse est vite revenue et surtout des températures estivales. Conséquence, j’ai pu observer en octobre, novembre et décembre des journées d’activité dignes d’une belle journée de printemps. Alors soit cela a trompé la reine sur la nécessité de pondre pour l’hiver soit les abeilles d’hiver se sont très vite épuisées et ont raccourci leur durée de vie. Soit tout simplement les 2 phénomènes.
A noter que quelques essaims ont très bien géré l’affaire. Et surtout les reines âgées de deux et trois ans ont tout compte fait passer un hivernage normal.
Que faire pour limiter la mortalité hivernale?
Face à une telle situation on se sent vite désemparé. Et première chose on se remet en question. Qu’est-ce que j’ai mal fait ou pas fait du tout ? Pour 2023 déjà je ne ferai pas ou peu d’essaims artificiels. C’est beaucoup de travail et c’est très déstabilisant de voir ses efforts anéantis à zéro. Du coup se pose la question de comment remonter son cheptel ?
Premier point j’ai commandé 5 essaims chez un éleveur de Haute-Loire. Ça c’est pour assurer le coup.
Deuxième point je ne vais plus rien tenter pour empêcher mes colonies d’essaimer. J’ai la chance d’habiter à côté du rucher donc à 99% je ne peux pas passer à côté d’un essaimage. Après se pose la question de le récupérer facilement. Pour mes reines les plus âgées je simulerai, ceci étant à confirmer, un essaimage naturel en divisant la colonie. Je ne pratiquerai plus d’orphelinage forcé. En gros je vais essayer de me rapprocher le plus de ce que les abeilles font naturellement. Tout ça est très théorique parce que les conditions météo deviennent prépondérantes. Après 2021, annus horribilis et 2022 il faut espérer une année normale sinon ça va devenir très très compliqué.
Et sinon je voudrais devenir un meilleur apiculteur ! C’est-à-dire encore plus de temps à observer les abeilles et les comprendre. J’ai le sentiment que l’apiculture est devenue trop stéréotypée et on compense en fait notre ignorance ou notre impuissance par toujours plus : plus d’essaims, plus de changements de reines, plus de traitements, plus de nourrissements, plus de produits stimulant (allant même jusqu’à remplacer le pollen)… Je pense qu’on prend le problème à l’envers. A voir et je ne voudrais surtout pas passer pour un donneur de leçons. Je m’étais fixé d’avoir un cheptel de 50 ruches mais l’obsession de ce chiffre m’a peut-être bien fait passer à côté de l’essentiel. Dont acte !
A suivre en 2023…